Mle Grincheuse est habitée aujourd'hui.

Habitée par une sorte de nostalgie, presque de tristesse.

Absolument rien de grave. Au contraire ! Elle aime bien être habitée de cette façon. Ça lui donne l'impression de vivre.

Elle a regardé la saison 1 de la série Lost, ce week-end (entre samedi 15h et dimanche 16h en fait). TOUTE la saison. Les 25 épisodes !

Le premier jour, le samedi soir, Mle Grincheuse était un peu patraque. Trop regardé la télé sûrement. Pourtant, c'est une télévore, elle est habituée. Mais là, c'était beaucoup. Surtout qu'elle n'avait pas pu compter avec les coupures publicitaires, puisqu'elle a visualisé les épisodes les uns à la suite des autres, sans discontinuer.

Elle ne s'est arrêtée que pour aller chercher à manger ou à boire, et faire quelques autres petites pauses imposées par Dame Nature.

Le dimanche, après avoir été cherché 2 baguettes à 7h30 (croustillantes, comme elle les aime), Mle Grincheuse n'a pas résisté. Elle a remis la suite ...

C'est environ vers 15h30 /16h, qu'elle a fini de regarder ..

Et depuis, elle se sent à la fois vide et habitée.

Vide parce qu'elle n'a plus rien à regarder, et que tous ces personnages sont devenus ses amis. Qu'ils lui manquent ..

Et habitée parce que ces personnages sont devenus ses amis (non, Mle Grincheuse ne s'est pas trompée, c'est bien la même chose que la ligne du dessus).

Mle Grincheuse a toujours eu tendance à l'excès. Ce n'est pas la première fois qu'elle s'accroche de cette façon à une série télévisée.

Quand elle était gamine, elle avait flashé sur "L'homme de l'Atlantide", à cause de Patrick Duffy dont elle était tombée amoureuse. Elle n'a jamais perdu de vue que cet amour était impossible, mais cela ne l'a pas empéchée de collectionner les photos trouvées dans les programmes télé (internet n'existait pas encore). En y réfléchissant aujourd'hui, Mle Grincheuse essaie de se demander ce qui a fait qu'elle est tombée amoureuse de ce personnage .. Car elle en a vu, des séries ! Tous les personnages ne lui ont pas fait cet effet.

Peut-être le côté solitaire ? ...

Les années passant, Mle Grincheuse s'est détachée de "L'homme de l'Atlantide".

Elle s'est entichée de "Tonnerre mécanique".

Elle n'aime pas du tout les motos, mais elle se souvient avoir avoué à une cousine, à l'époque, qu'elle rêvait d'être à la place de la moto (sic!) ..

Les années ont continué à passer. Mle Grincheuse a délaissé "Tonnerre mécanique".

Elle s'est entichée de "Code Quantum".

Ah ! Scott Bakula !

Mle Grincheuse avait grandi (en âge), et travaillait. Elle était donc désormais en mesure de pourvoir à ses propres besoins. Et d'acheter un nombre impressionnant de cassettes vidéos pour enregistrer tous les épisodes qui passaient.

Elle s'est inscrite au fan club (aux USA, dont elle n'a jamais eu de nouvelles, d'ailleurs).

Elle a acheté un petit bouquin résumant tous les épisodes, l'état d'esprit de la série, etc ...

Elle a découpé dans des magazines des photos de Scott Bakula, et a été jusqu'à les mettre dans un grand sous-verre, accroché au mur ...

Oui, Mle Grincheuse peut aller loin. Encore qu'elle reste persuadée que son cas n'est pas si extrême que ça, finalement. Ce qui peut être un peu extrême, c'est l'âge auquel elle s'est livrée à ces pratiques ..

Elle réfléchit.

Les héros des séries ont souvent été plus ou moins solitaires, mais Mle Grincheuse n'est pas tombée amoureuse de tous ? Superman ne lui a jamais fait d'effet par exemple.

Alors qu'avaient ceux-ci de si particulier ?

Sam Beckett avait des points en commun avec Mark Harris (Mle Grincheuse vient de se souvenir du nom de l'homme de l'Atlantide). Il était solitaire lui aussi, et humain, gentil. Un gentil héros, en quelque sorte. Un héros solitaire aussi, donc. Mais VRAIMENT solitaire. Parce qu'ayant quelque chose à part ?

Poursuivre la réflexion mériterait un peu de concentration, d'introspection, et de ramollissement de soi.

Donc Mle Grincheuse va l'arrêter ici. Elle préfère se montrer grincheuse, sombre, et s'essayant à l'auto-sarcasme. C'est plus simple et moins dangereux.

Toujours est-il que maintenant, Mle Grincheuse s'est entichée de "Lost". Enfin, d'une personne en particulier, mais elle va  garder l'information secrète.

Autant parler de ses flammes passées est facile, autant parler de celle actuelle ne l'est pas. Ensuite, ce qui s'envole de sa tête et de son coeur pour s'écrire ici, ne sera plus dans sa tête et dans son coeur. Et elle veut garder tout ça.

Alors voilà. Elle pense à quelqu'un. Auquel probablement elle s'identifie un peu. Mais aussi quelqu'un qu'elle n'aura jamais l'occasion de rencontrer.

Encore un amour impossible.

Mle Grincheuse aimerait bien râler sur son blog, mais c'est étrange, elle n'y arrive pas bien.

Ou alors c'est parce qu'une fois qu'elle est devant son clavier, elle n'a plus vraiment envie de râler. Parce que les sources d'énervement se sont éloignées.

Parce que quand même, c'est une seconde nature, de ne jamais être contente.

Alors du coup, Mle Grincheuse est contrariée ...

Elle cherche, farfouille dans sa mémoire ce qui pourrait revenir à la surface, là, maintenant. Et redevenir aussi palpable qu'au moment où c'est arrivé la première fois (ou la dernière, parce qu'en général, c'est répétitif).

Tiens, là, elle se demande si elle a déjà fait le tour de tout ce qui l'énerve, dans la vie. Autrement dit, est-ce qu'elle va rencontrer de nouveaux sujets d'agacement dans le futur ?

Parce que les gens, par exemple. Ca l'a toujours énervée. Bon. Une fois qu'on a dit "Les gens m'agacent", ça élimine une grande partie de ce qui est suceptible d'agacer, non ?

On pourrait lui répondre :
- Oui, mais les gens qui quoi ?

Parce que c'est bien beau de dire "Y'm'saoûlent", encore faudrait-il préciser un peu. Histoire qu'en procédant par élimination, on se rende compte que quelques individus isolés ne sont pas (encore ?) en mesure d'agacer Mle Grincheuse.

Ben tiens, pour commencer :

Ceux qui prennent la place de Mle Grincheuse dans le train/bus/métro/parking (etc ...)

Mle Grincheuse est comme ça. Elle a ses petites habitudes. Des petites habitudes qui sont, en réalité, à la limite de la superstition. Elle le reconnaît elle-même, mais élude le sujet en concluant par "Tu peux pas comprendre !". Ce qui, généralement, met fin de façon spirituelle au dialogue.

Bref. Revenons à nos moutons.

La place que Mle Grincheuse a décidé d'occuper (dans le train/bus/métro/parking etc ...) est mûrement réfléchie. Elle est la conclusion d'années de pratique et d'expériences plus ou moins agréables, ponctuées de grands moments de solitude.

Ce que Mle Grincheuse aime par dessus tout, c'est ne pas être collée à son voisin de siège. Ce qui ma foi - reconnaissons le - n'est pas facile compte tenu des protubérances fessiaires de Mle Grincheuse.

La présence d'un fessier voisin a le don d'agacer Mle Grincheuse au plus haut point. Ca en devient physique, et provoque des démangeaisons somatiques un peu partout de la tête aux pieds. Ca la gratte, quoi ! La démangeaison devient le moyen d'expression de l'énervement de Mle Grincheuse qui, rappelons le, n'est pas d'une nature agressive extérieurement.

Parfois, Mle Grincheuse reconnait un congénère. Elle se souvient d'une fois, où elle a observé avec une joie difficile à dissimuler, Mr PasContent qui ne supportait manifestement pas sa voisine. Celle-ci lisait, et à chaque page tournée, son coude effleurait les flancs de Mr PasContent. Il faisait tous les efforts du monde pour éviter le contact (impossible, évidemment) et lançait des oeillades furieuses à la lectrice insouciante. Mle Grincheuse a ressenti une intense satisfaction : Elle n'était pas seule !!!

Peu à peu, elle s'est mis à la recherche de la place assise idéale. Celle qui ne serait pas dans le passage, celle qui ne serait pas trop près des gens, celle qui serait près de la fenêtre, etc ...

Elle a malgré tout la chance de son côté, puisqu'elle a souvent habité au terminus, ou juste avant le terminus.

La tactique est la suivante :

• se placer exactement là où la porte du wagon convoité va s'ouvrir. Nécessite quelques temps d'observation : quel est le wagon le moins rempli, où se trouve la porte, chercher des repères sur le quai, etc ...
• se placer au niveau de la charnière de la porte, surtout pas au milieu, sinon Mle Grincheuse empécherait les gens de sortir, et par conséquent ne pourrait pas entrer elle-même. Non, la meilleure solution est de se mettre sur le côté, et de viser dans le flot de gens sortant le moment où un espace suffisant se dégagera pour lui permettre de s'engouffrer.
• se précipiter calmement (oui, c'est pas évident, mais il ne faut surtout pas qu'elle ait l'air de se précipiter, elle assume pas toujours le fait de vouloir une place particulière). Donc se précipiter calmement en direction de la place
• une fois arrivée devant, s'y asseoir tranquillement, genre "Ah ? Tiens ! Cette place est libre ! Bon ben je vais m'y mettre alors !"
• lorgner les autres gens qui entrent, en essayant de décrypter si oui ou non, ils ont vu son manège. Si oui, tenter d'assumer en affichant une expression de satisfaction espiègle (ou une moue hargneuse, selon les jours)
• se caler contre la fenêtre
• regarder dehors
• ne plus voir les gens

Heureusement, la SNCF et la RATP ont créé des petits sièges individuels dispersés dans chaque wagon.

Ce sont ces sièges-là que Mle Grincheuse lorgne.

Elle est prête à rester debout pendant tout son trajet, juste à côté de celui qui lui a piqué SA place, prête à bondir dès qu'il aura laché sa prise.

Mle Grincheuse est persuadée, dans son état paranoïaque, que les gens font exprès de lui prendre sa place. Elle crois presque les entendre la narguer, lorsqu'ils réussissent. Elle crois percevoir leurs ricanements pourtant inaudibles : "hin hin hin !"

Si vous la croisez, vous ne pouvez pas vous tromper. Elle protège son espace-quai comme une louve protège ses petits. Telle la chouette affolée, elle jette des coups d'oeil à droite à gauche, cherchant à deviner qui va venir l'emmerder.

Alors, tenez vous le pour dit : C'est SA place

Pour de la merde.

Mle Grincheuse les déteste.

Elle vient de voir Mr PetitPaon, et ça lui a fait penser à ça.

Mr PetitPaon l'exaspère.

Avec le temps, elle a fini par s'habituer au personnage, mais de temps en temps, ça remonte.

Paraitrait que ce qu'on aime ou déteste chez les gens, c'est ce qu'on aime ou déteste chez soi. Elle est bien avancée avec ça.

Admettons.

Ca expliquerait peut-être pourquoi elle ne peut pas les supporter. Deux personnes qui ne se prennent pas pour de la merde ne pourrait donc pas bien s'entendre ?

Un truc qu'on lui avait soufflé pour que personne ne vienne s'assoir à côté d'Elle dans les transports : le Trognon de Pomme !

Peu importe si c'est Elle qui a mangé la pomme.

La façon de le tenir est importante. Entre le pouce et le majeur, le dos de la main posé sur le siège libre, trognon vers le haut.

Très important aussi : l'expression. Ne surtout pas chercher à être comprise dans son embarras. Ben oui, un trognon, un air embêté ("Beuh ? Qu'est ce que je vais en faire ? Me v'la bien !"), ça peut déclencher un élan de compassion, un sourire complice, une oeillade de connivence. Et un début de conversation. Autour dudit trognon !!! Traitre !

Ceci dit, ça fonctionne pas trop mal, sauf les jours de grêve. De toute façon, ces jours là, les trognons aussi font grêve, faut quand même pas pousser.

Marchent aussi : tout ce qui est suceptible de dégouliner (trognon de poire, etc ...)

Bizarre ce bruit. Comme une sorte de ronronnement, mais en plus fort, en moins doux.

Ne cherchez pas, c'est Elle qui grommelle.

C'est pas compliqué : tout l'agace ! D'ailleurs c'est sa phrase fétiche : "Ca m'agace !". Ou encore "Ca m'saoûle !"

Les gens, les choses, le temps, le bruit. Tout ce qui peut se mettre entre Elle et ses envies, Elle et ses intentions, Elle et ses prévisions.

Mais comme Elle n'est pas du genre agressive physique, Elle se contente de ronchonner, de borborygmer.

Elle arbore un visage fermé. Sourcils froncés presque en permanence. Dans la rue, Elle fixe le sol, pour ne pas risquer de croiser les regards des Autres. On ne sait jamais, des fois qu'ils auraient envie de lui parler. Elle, elle n'a pas envie. Alors Elle essaie de se fondre dans le trottoir, dans le siège du train.

Si par hasard on La remarque (un simple regard en est la preuve), Elle fusille d'une oeillade noire le téméraire inconscient. Et au cas où le message ne serait pas clair, Elle y ajoute un étirement vers le bas des commissures, un léger frémissement des narines largement ouvertes pour l'occasion, et exhale un soupir de dédain ... : "Pfff !"

Et devinez quoi ? Ca marche ! Enfin en général.